» Tu dors ? « 

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Papa et maman doivent aider tata à déménager.

Ce soir, je dors chez tonton.

Tonton a une nouvelle amoureuse. Blonde, les cheveux courts, elle a deux garçons de 7 et 10 ans : mes nouveaux cousins. Avec mes autres cousins, je pars en vacances, je fête Noël, on s’amuse bien. J’aime bien avoir des cousins.

Ce soir, Tonton nous prépare un couscous. C’est sa « spécialité » a dit maman.

Sa nouvelle amoureuse est un peu bizarre. Elle me crie dessus parce que mes ongles sont trop longs. C’est pas ma faute, maman dit que je suis trop petite pour les couper toute seule. Et puis elle me les a coupés hier maman, quand j’ai pris mon bain.

L’amoureuse de tonton prend des petits ciseaux et m’assoit sur le canapé. J’ai l’impression qu’elle me coupe les doigts. Elle me fait mal.

J’aime pas les ciseaux pour couper les ongles, ça fait mal quand on coupe les doigts avec.

Après le couscous, on doit aller dormir avec les cousins.

Dans leur chambre, il y a un drôle de lit avec une échelle. Le plus grand dort en haut, le plus petit en bas. Il y a un petit matelas par terre, juste pour moi.

Ce soir, je dors chez tonton, avec mes cousins.

On fait un peu les « foufous », on rigole, puis tonton vient nous dire d’arrêter et de dormir. J’aime bien mon tonton, il est gentil.

C’est vrai que je suis fatiguée.

J’aime pas trop quand papa et maman ne sont pas là la nuit. Alors je réfléchis beaucoup et je me dis que c’est bien aussi de voir son tonton et ses cousins pour jouer.

Je sers ma peluche très fort contre moi, elle sent l’odeur de maman. C’est elle qui me l’a achetée avec papa pour mon anniversaire. Je me souviens, elle avait fait un gros gâteau au chocolat avec plein de smarties de toutes les couleurs. J’aime bien les smarties. Elle avait mis des bougies qui s’éteignent et se rallument quand on souffle dessus. Il y en avait 5. C’est facile, c’est comme les doigts de ma main. Papa avait dit que l’année prochaine, il faudrait me faire pousser un doigt en plus pour compter les bougies. J’avais trouvé ça rigolo. Il est drôle mon papa, il fait toujours des blagues qui font rire.

Sous la couette, il fait chaud. J’entends mon cousin qui descend de l’échelle. Il doit avoir envie de faire pipi. Moi j’ai souvent envie de faire pipi la nuit et je suis obligée de me lever. Une fois, je me suis pas réveillée assez vite et j’ai tout mouillé mon lit. Maman elle était pas contente.

Il s’arrête près de mon lit, s’assoit et me regarde. Je le vois parce que j’ai pas les yeux bien fermés.

« Tu veux jouer ? »

J’ouvre les yeux et lui dis que je veux dormir, je suis fatiguée.

Il retourne dans son lit.

Je ferme alors les yeux en pensant à la belle journée et au bon couscous de tonton. C’est vrai qu’il cuisine bien tonton, maman elle a raison !

J’entends encore des petits bruits de pas qui descendent l’échelle. Il doit encore avoir envie de faire pipi, il n’y est pas allé tout à l’heure.

Je sens alors qu’on m’écrase. La chambre est noire, il a du oublier que je dormais là, par terre, sur mon petit matelas que tonton et son amoureuse ont préparé pour moi.

Il s’assoit tout près de moi, il m’écrase

« Hey tu dors ? »

« Non, tu m’écrases. »

« Hey, je peux mettre mon zizi dans ton petit trou ? Tu vas voir c’est rigolo ».

Je ne comprends pas de quoi il parle. J’ai déjà vu des zizis à l’école. Quand on va aux toilettes, les garçons ils font pipi debout avec leur zizi. Et puis il y a Thomas, il arrête pas de descendre son slip et montrer ses fesses pour embêter la maîtresse. Et puis maman elle m’a dit que les garçons ils ont pas le droit de me toucher si j’ai pas envie.

« Alors, je peux mettre mon zizi dans ton petit trou ? »

« Non, c’est dégueu les zizi, pousse toi ».

Comme je me mets assise et le pousse, il tombe par terre et ça fait beaucoup de bruit parce qu’on a pas rangé les playmobils tout à l’heure.

Tonton ouvre la porte.

« C’est pas bientôt fini ? C’est l’heure de dormir, je ne veux plus rien entendre ».

Mon cousin remonte dans son lit.

Il n’a toujours pas fait pipi avec son zizi.

La chambre est toute noire.

Je l’aime pas trop ce cousin. Il est plus grand et il joue pas comme nous. Et puis il est bizarre, il veut aller faire pipi mais il va pas faire pipi.

Et puis c’est quoi le « petit trou » ?

J’espère qu’il va pas encore venir m’embêter ! Tonton va pas être content sinon et j’aime pas quand les grands ils se fâchent. Papa il se fâche tout rouge des fois et j’aime pas trop ça. Je préfère quand il fait des blagues qui font rire.

Ca y est, tout le monde dort, J’entends tonton qui ronfle fort mais moi, j’arrive pas à dormir.

J’aime pas quand je dors pas à la maison avec papa et maman. Quand je suis dans mon lit, personne vient m’embêter et m’écraser…

Je sers fort ma peluche, elle sent bon ma maman…

 

 

30 ans plus tard, je réalise que j’ai eu de la chance.
30 ans plus tard, je me demande encore ce qui aurait pu se passer si…
Si ma mère ne m’avait rien dit sur « les zizis »…
Si je ne l’avais pas poussé…
Si on n’avait pas oublié de ranger les playmobils…
Si « tonton » était resté avec cette « amoureuse » et que je l’avais revu…

Tous les enfants, devenus grands, n’ont pas eu cette chance…

 

Lorsqu’on pense incestueux, incestuel, on pense « adulte »… N’oublions pas que les enfants peuvent aussi avoir des jeux qui dérapent… des jeux qui laissent des traces… des jeux qui traumatisent…

 

© Journal d’une psychomot’

4 commentaires

  1. On apprend aux enfants à se méfier des « sales bonhommes » qu’on ne connait pas, mais pas des petits cousins, des tontons très gentils, etc… Il est important d’apprendre aux enfants, dès le plus jeune âge que « mon corps m’appartient ». Il est important de « dire » avant qu’il ne soit trop tard et que les mots ne suffisent plus pour réparer l’irréparable.
    Ce texte est très émouvant : on ressent la nuit, l’odeur du nounours, l’insomnie de cette petite fille…

  2. oui;;un texte fort qui fait réaliser beaucoup de choses.. Avez vous des lectures, des jeux d’images a conseiller pour parler de tout cela aux enfants? merci

  3. J’aime, et suis devenue cette petite fille… pour prendre conscience à quel point le danger est là, juste à coté, chez toi, chez lui, chez mon frere, ma mere, mon beau-pere, à la fete du jour de l’an, au retour de chez Franck, quand tous les enfants seront ensemble, Tout peut aller si vite, si loin, si ténu, si traitre, si pernicieux, si fatal. D’un coup je me dis que je parlerais de limites a mon petit dernier, prevenir, avertir.
    Merci pour ce texte, il cogne dans le ventre, et frappe à la tete.

  4. Merci… un exemple parmi tant qui restent sous silence.
    un texte à faire travailler à l’école !